L'amitié
L’amitié
Oyez ! Oyez ! Mesdames et Messieurs ! J’ai un scoop à vous annoncer ! Quelque chose de révolutionnaire : on ne choisit pas ses amis.
Oui, vous avez bien entendu : on ne les choisit pas. On ne les choisit pas comme on choisirait des gâteaux derrière la vitre d’une boulangerie, on ne les choisit pas comme on choisirait une très belle paire de chaussure. Car jamais notre doigt ne pointe vers untel ou unetelle en même temps que notre bouche articule : c’est celui-ci que je veux, et pas un autre ! Celui-ci parce qu’il est grand et beau et fort, celui-ci parce que nous écoutons la même musique et que nous aimons les mêmes films !
Non, cela ne se passe pas de cette manière, en vrai ; et pour preuve (preuve que chacun pourra vérifier par lui-même) : souvent nos amis sont laid et ont, de plus, des goûts musicaux qui sont comme une insulte aux règles élémentaire du solfège !
Je disais donc que cela ne se passe pas de cette manière, en vrai. En conséquent, il est donc inexact de dire que l’amitié se choisit. En fait, ceux sont justement ceux s’y connaissent le moins en amitié — ce cadeau de la vie — qui distillent sans relâche ce faux évangile. Et, en bon fidèle, ou en bon crétin — le lecteur actuel aura la liberté de choisir à sa convenance — , une foule d’irréfléchis les suis, en proclamant fièrement et plein de verve certaine et, qui plus est, à tue-tête, que oui... que oui on les choisit, ces fameux amis.
Eh bien moi je dis non. Ou plutôt je redis non.
L’amitié, en vérité, naît entre deux être sans que l’on puisse en donner l’explication. Elle émerge comme ça, sans avertir. Elle vient tel un présent de la vie. Elle vient sans fanfare, sans signes avant coureur, tant elle est l’inverse opposé du coup du foudre (j’y reviendrai un peu plus loin). Elle vient, alors même qu’elle n’a pas été appelée, mettre la zizanie dans une vie trop molle. Elle vient et, à notre corps consentant, tisse un lien quasi indestructible entre nous et un, ou une inconnue (Oui, j’y crois...). Et ce lien échappe à toutes analyses tant il est magique. Il échappe à tout dogme qu’on voudrait lui apposer. Il n’a pas de règle. Il est une des rares expressions de l’anarchie dans ce monde trop régulé. C’est un lien pour le pire, et, surtout, pour le meilleur.
Ô, vous qui me lisez, ayez s’il vous plaît une pensée pour ces malheureux qui se fourvoies à entreprendre de la chercher sur, par exemple, des sites Internet. Pensez, s’il vous plaît, à tous ceux qui demandent : « Veux-tu être mon ami ? » (avec les fautes d’orthographes qui vont avec !) de la même manière qu’ils auraient demandé à leur voisin : « Voulez-vous faire une partie de tennis avec moi ? ». Oui, je vous en prie, en bons chrétiens que vous êtes peut-être, pensez à ces perroquets vides de toutes réflexions... (pléonasme)
Certes, cela peut marcher pour eux, mais ils n’ont pas compris que la nature même de l’amitié est qu’elle ne se cherche pas... Elle est une herbe sauvage, en quelque sorte. On ne la cueille pas facilement. D’ailleurs, on ne la cueille pas. C’est elle qui nous cueille...
C’est donc elle qui vient à nous, et pas l’inverse. Tiens ! la belle affaire. Et s’il ne se passe rien ? On est condamné à rester seul ? Heu... oui. Des gens peuvent parcourir le monde entier sans se faire d’ami. A ça on ne peut y remédier, puisque c’est elle qui nous cueille vous ai-je dis !... En effet, notre volonté ne peut interférer dans ses choix. Un abruti peu avoir beaucoup d’ami, par exemple. Et des vrais de vrais. Un sage peut quand à lui être seul au monde. Mais... que vois-je sur vos visages ? Un peu de doute il me semble... Alors oui, je crois que je dois le répéter : elle ne se cueille pas, l’amitié ! Ca va finir par rentrer à la fin... Que voulez-vous, ce n’est pas moi qui est fixé les règles ! Si ça ne tenait qu’à moi, le monde serait rempli d’amis. Un monde d’ami, l’idée est plaisante, mais peut-être qu’à la longue ça serait lassant, vous ne trouvait pas ? Et puis... un monde composé essentiellement d’amis enlèverait toute sa valeur à l’amitié. Le mot en lui-même disparaît ; il n’aurait plus aucun sens. Si on était tous amis on se chercherait des ennemis. Ce serait ça le cadeau dans un monde pareil. (Ai-je pris quelques substances particulières ce soir ?)
Je disais plus haut qu’elle était l’inverse parfait du coup de foudre. Et je crois qu’il me faut maintenant justifier cette déclaration.
En fait, c’est une histoire de temporalité. Comment ça ?... C’est simple : le coup de foudre commence dans la passion la plus intense, la plus sauvage, et se termine (s’il se termine bien sûr) le plus souvent dans l’indifférence la plus totale, voir le mépris. L’amitié quant a elle fait tourner les aiguilles de sa montre dans l’autre sens : d’abord l’indifférence (c’est qui cet inconnu ?) pour finir, ou pour poursuivre (c’est plus juste) non pas dans une passion mais dans un amour réciproque, un amour tacite et complice... Quand dans le premier on est ébloui par ce qu’on voit (ou croit voir) en l’autre au début de la relation, dans le second on le voit pendant la relation. Et quand dans le second nous ignorons au tout début quelles sont les qualités de l’autre, dans le premier on met tout de suite cet autre sur un piédestal. L’un se nourrit d’illusion tandis que l’autre voit la réalité telle qu’elle est et en récolte ses fruits. Sans tromperies, sans faux semblant, il récolte les fruits de la belle réalité brute.
L’amitié fait partie de mes sujets préférés. Je pourrais passer des nuits blanche à en parler, à essayer de la décrypter, tout en sachant que l’ambition est belle et que l’échec sera à nouveau là quand le soleil reviendra...
Mais peu importe si elle reste un mystère. Et tant mieux, même. Qu’il en soit tout le temps ainsi. Car les Dieux sont morts et le sentiment amoureux expliqué. Alors, que nous reste t-il pour goûter à l’ivresse de la vie ? Si ce n’est dans l’amitié, où allons-nous donc bien pouvoir la trouver ?
Et c’est bien pour cela que je n’ai qu’un seul souhait dans la vie...
Ô, mon ami, vient jouer avec moi, je t’en prie ! Renforçons les chaînes dont l’amitié nous a affublés. En ce bas-monde il y a si peu de réconfort, si peu de lieu où l’âme se sent à sa place. Alors s’il te plaît, oublie-le avec moi, et restons unis. Restons juste tous les deux ; restons un. C’est mon vœu le plus cher. Ensemble, pour toujours. Jusqu’à en devenir fou.
« Fous à lier, contre réverbères et marées
Fou à lier, au coin des ruelles enlacés » (Les innocents)