La légère poétesse (poésie)
La légère poétesse
Allant mon chemin entre vents et haleines
Je dois prendre la vie comme elle s’amène ;
Mon destin est rempli d’un hasard ami
Pour que j’en sois spectatrice ravie.
Plus légère qu’une moitié de cheveux,
J’ai un sort qui ne fait pas beaucoup d’envieux…
Car me posant sur les objets, les paupières,
Je suis une pauvre petite poussière.
Un peu suspendue dans le vide, un peu rien,
Je zone dans le quotidien des humains ;
Mais loin d’être la bienvenue on me chasse
Alors que je ne prends pas vraiment de place…
La moindre brise me fait voir du pays,
Le hic c’est que c’est pas moi qui les choisis.
Mais qu’importe le lieu, je suis la cadence :
A mon âge c’est normal d’être en vacance !
Entre la terre ferme et le firmament
A chaques instants je vois un lieu différent,
Car mes escales durent le temps d’un souffle
Pour que sans tarder je reprenne la houle :
C’est deux tendres bouches qui m’ont séquestré
Dans une prison douce en forme de grotte ;
Passant plus de cent fois d’un poumon à l’autre,
J’ai pu voir à quel point mes geôliers s’aimaient !
Quand la nouvelle star faisait sa première,
On applaudit quand je fus dans la lumière,
Et dans ma sereine et calme éternité,
Je connus quelques secondes de succès !
Reine des mers dans un château fait de sable,
J’ai gouverné sur un âge d’or instable,
Et puis j’ai fui quand mon empire chuta
Lorsque le peuple en rythme se révolta…
Recueilli par les pétales d’une rose
Je sus le temps d’une nuit l’amour, l’osmose,
Mais l’ivresse magique en son sein cessa
Devenue grande comme mille soleils
J’eus entre mes mains géantes tout le ciel,
Mais tout cessa quand vint un troublant ressac
Sur la froide et lisse surface du lac…
Portée par le dernier souffle du mourant,
J’ai accompagné l’âme dans le néant.
Comme deux amants nos cœurs étaient légers,
Mais par nos destinée, fûmes séparés.
Refermant son livre sur moi, une enfant
Me sépara du monde pendant cent ans ;
Réfugiée dans mes rêves pour patienter,
Par son charmant petit-fils je fus sauvé…
Courtisé par les cendres folles du feu,
Je cède une danse à tous ces amoureux.
Puis, tous avons bu et ri, et tant pis si
Notre jeunesse n’était que comédie…
Etais-je en trop moi qui la jouais solo ?
Non, car on s’accorda un temps de magie…
Et je sus qu’harmonie n’est pas utopie…
Que je m’amuse à teinter de poésie,
Afin qu’agréable soit mon vagabondage
Sur ce monde qui un jour aura mon âge…
Oui ! Car tout ce qui est, un jour comme moi
Sera ! De la fleur à l’humain jusqu’aux lois !
Le monde passager sera le grand hôte
Du temps qui se pose sur la vie... et l’ôte !
Du temps, j’en suis l’ambassadrice officielle,
Et je colporte son message avec zèle
Devant les visages et les yeux des vivants
Qui sont distraient, hélas, la plupart du temps :
« Combien de désirs se cachent dans vos cœurs ?
Attention ! Je passe sur vous ! Garde-à l’heure !
Car les regrets vous tuerons comme une lame
Quand le cœur jouera son dernier rythme à l’âme ! »
« Trouvez de quoi se nourrit votre bonheur
Afin qu’agréables soient toutes vos heures !
Pour que la vie — ce mystère d’un instant —
Vous l’ayez éprouvé conscient et vivant ! »
Mais les poussières on ne les écoute pas ;
Elles sont là et puis elles sont plus là !
A peine aperçu que déjà oublié !
Quelquefois avec un peu de nostalgie
Je me rappelle toutes mes autres vies,
Mais les larmes sur mes joues sont vite sèches
Quand je pense à l’existence et à ses flèches.
Etre poussière... voilà le paradis !
Plus de lundi, plus de jeudi, et pardi !
Hors du temps et de la vie, pourquoi s’en faire ?
Oui, moi je me pavane de ne plus être !
Car me posant sur les objets, les paupières,
Je suis une pauvre petite poussière…
* * *
Ainsi parlait légère, fière et espiègle
Une poussière voyageant sur une aile.
Mais le sort malicieux avait trouvé bon
Que la-dite aile fut celle d’un pigeon…
Et Dieu qui a l’ouïe extrêmement fine
Perçu le monologue de l’être infime,
Et n’aimant pas qu’on chôme dans son cosmos
Transforma la poussière en un petit os…
Puis dans cet os devenu corps de déesse,
Lui insuffla son âme de poétesse…
Alors la poussière rejoignit la vie,
A nouveau sensible au soleil, à la pluie.
« La belle surprise ! » pensa la très belle
(Qui dans le fond se lassait d’être éternelle),
« Mais maintenant que vais-je bien pouvoir faire
De mon temps compté sur cette fichue terre ? »
Un pas à droite lui amena l’aigreur,
Un à gauche lui apporta la rancœur,
Et un autre en arrière, de grosses larmes.
Alors, les yeux clos, elle écouta son âme…
Et depuis, marchant vers son inspiration
Animant son bonheur au fil des saisons,
Cette divine et douce, la vie aimant,
Sème des rimes, des vers, au gré des vents…
Cette divine et douce, la vie aimant,
Sème des rimes, des vers, au gré des vents…